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Le Nain


Nom de trois peintres français du XVIIe siècle, nés à Laon et morts à Paris, les frères Antoine (entre 1597 et 1607 ?-1648), Louis (entre 1597 et 1607 ?-1648) et Mathieu (vers 1607-1677).

Dans le mouvement réaliste du temps de Louis XIII, l'œuvre des frères Le Nain illustre la double vocation d'un art qui fut constant dans son intellectualité aussi bien que dans sa passion du vrai. À l'encontre du réalisme italianisant ou flamand, cette peinture de genre, d'une simplicité presque banale, sut toucher les contemporains par son côté humain plutôt que pittoresque. Originaires de Laon, où leur père était sergent royal du bailliage de Vermandois, Antoine, Louis et Mathieu Le Nain furent élevés dans un milieu proche de celui des paysans et vignerons. Ils conservèrent cet attachement au terroir après leur venue à Paris (en ou avant 1629), où ils créèrent en commun un atelier vite honoré de commandes.

Parmi leur production très variée, portraits, scènes religieuses ou mythologiques, récréations d'enfants ou de grands seigneurs, ce sont leurs peintures de la vie paysanne, placées d'ordinaire sous le nom de Louis, qui les ont fait, surtout, redécouvrir par le xxe s.

S'attachant à décrire le quotidien en le généralisant, avec une sensibilité nouvelle qui crée de toutes pièces le contenu moral de leurs sujets, les Le Nain communiquent une émotion par des moyens qui peuvent faussement paraître pauvres (ainsi leurs couleurs sévères en camaïeux bistres et gris), mais qui traduisent toujours une atmosphère intime, accentuée par la précision de détails qui échappent à l'anecdote ; les visages sont décrits avec minutie et chaleur, tandis que l'ensemble des compositions est souvent maladroit. Tout cela leur a fait conférer par les historiens d'art de l'entre-deux-guerres, comme à La Tour, ce titre, à vrai dire mal défini, de « peintres de la réalité ».

Dans les scènes d'intérieur, les paysans ne sont pas l'« animal farouche et affamé » dont parle La Bruyère ; sans doute, ils ne sont pas vêtus à la dernière mode, mais les étoffes sont chaudes, leur table est couverte d'une nappe, ils mangent un pain à la croûte mordorée, ils boivent du vin dans des verres de cristal : autant d'éléments qui surent charmer les contemporains des Le Nain.

Admis comme «peintres de bambochades» à l'Académie royale, lors de sa fondation en 1648 (mais Louis, puis Antoine meurent quelques mois plus tard), leur originalité les dégage de la mode caravagesque du clair-obscur et des éclairages artificiels ; sur ce point, ils marquent l'esprit de leur temps, par le passage à la couleur et, ce qui est plus exceptionnel, à la lumière du plein air. Leurs toiles, quand elles sont signées, le sont de la seule formule Le Nain fecit. Bien que, devant cette signature commune, la distinction des différentes mains soit fort délicate (elle est considérée comme prématurée, dans l'état de nos connaissances, par le professeur Jacques Thuillier), une théorie faisant resurgir la spécificité de chacun des trois frères a été élaborée.

ANTOINE LE NAIN

Antoine apparaît, en dépit d'un certain archaïsme, comme un petit maître plein d'attrait, très libre dans sa couleur et dans sa touche, ayant le sens des sujets d'enfants. La palette est vive, l'observation fraîche et spirituelle, enfin les personnages se présentent dans une lumière égale, où tout clair-obscur fait défaut. Reçu maître peintre au faubourg Saint-Germain-des-Prés en 1629, l'artiste a vécu au milieu de la colonie flamande de Paris. On lui doit un certain nombre de miniatures sur cuivre et des portraits en raccourci ; son Bénédicité (collection privée, Paris), tableautin à quatre figures dont l'unité est rendue par l'heureuse distribution des lumières, rend compte de cette technique remarquablement large et hardie dont Louis et Mathieu ont dû s'inspirer. Par contre, la Réunion de famille (1642, musée du Louvre) est une composition sans profondeur, qui montre des bourgeois autour d'une femme en robe jaune ; on y trouve un trait commun aux trois frères, le rouge du manteau de l'un des hommes, qui jette une note vive. Cette particularité se retrouve dans les Trois Jeunes Musiciens du musée de Los Angeles.

Si ces attributions sont justes, Antoine se définit comme un peintre honnête et un consciencieux portraitiste, au réalisme d'instinct, bien senti, bien rendu, mais peu transposé. C'est l'artiste des scènes familiales telles que la Danse d'enfants (1643, collection privée) et les Portraits dans un intérieur (1647, Louvre).

LOUIS LE NAIN

La nature revue et corrigée par Louis est un monde de formes stables, chargées d'un contenu spirituel. À la qualité de l'ordonnance de ses œuvres, le peintre ajoute une poésie toute bucolique, délicatement nuancée par une gamme de gris et de bruns. Dans la Charrette ou le Retour de la fenaison (1641, Louvre), un élément primordial fait l'unité du tableau : l'éclairage de plein air. Cette conception de l'espace se retrouve dans la Halte du cavalier (1642, Londres, Victoria and Albert Museum) ou la Famille de la laitière (musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg).

Aux champs comme autour de la table à la nappe froissée, dans le plein jour ou le demi-jour qui lutte avec le reflet du foyer, les paysans de Louis sont économes de gestes, réservés, conscients de leur condition. Le Repas de paysans (1642, Louvre) est un tableau d'intérieur baigné d'une clarté presque uniforme, qui accentue la sévérité de ces regards tristes, mais pleins de dignité. La Forge (Louvre), particulièrement remarquée en son temps, est une œuvre d'un type différent, prétexte à une étude technique sur la lumière, traitée à la manière du Caravage, mais sur ce mode retenu qui marque le caractère classique de l'œuvre de Louis.

MATHIEU LE NAIN

Peintre ordinaire de la Ville de Paris en 1633, décoré de l'ordre de Saint-Michel en 1662, il fut communément appelé le « chevalier Le Nain ». Brillant et élégant, l'auteur du Corps de garde (1643, collection privée) a presque abandonné les scènes de la vie rurale. Ses modèles préférés sont des militaires, des jeunes gens en chapeaux à plumes et rabats de dentelle. Un prétexte suffit à justifier leur réunion autour d'une table, comme dans les Joueurs de trictrac du Louvre. Bien qu'on lui attribue la Vénus dans la forge de Vulcain (musée de Reims), Mathieu fut avant tout ce peintre de portraits collectifs sans doute repris de la peinture hollandaise. Il sut, comme ses frères, donner au regard une intensité inoubliable.